Forêt

Se poser les bonnes questions

Il y a une dizaine d'années, je répondais à un n-ième questionnaire sur la course à pied longue distance, et je tombe sur la question fatidique "avez-vous déjà pensé à l'abandon ?". Je crois que j'ai répondu non. Mais ça m'a troublé. Je me suis demandé si j'étais sincère. Sans rire, jamais pensé à l'abandon ? Ce n'est pas crédible !

Alors en y réfléchissant un peu, je me suis tout de même aperçu qu'en compétition, je me pose plein, mais alors plein de questions. Mais rarement "est-ce que je dois abandonner ?".

C'est curieux, car on pourrait se dire que cette question du "stop ou encore ?" est cruciale, et que c'est le nerf de la guerre.

Mais justement, là est toute l'astuce : ne vous posez surtout pas cette question !

On va parler manipulation. Oui, vous savez, la manipulation, par exemple en politique, c'est monnaie courante. On va parler d'un sujet brûlant en ce moment, les retraites ! On peut poser la question "préférez-vous un recul de l'âge légal de départ, ou une augmentation du nombre de trimestres ?"... Vous voyez le piège ?

Allez, je vous aide, c'est le même que dans "chéri(e), pour les vacances, on part à montagne, ou à la mer ?". Encore un autre exemple : "bon, pour ton anniversaire, tu préfères une tarte ou un gâteau ?".

Mer ou montagne ?

Il est où le piège ? Si vous ne l'avez pas vu, je vous file un coup de main : ce sont des questions fermées, qui par-dessus le marché, ne présentent qu'un éventail très réduit des réponses possibles. Dans l'exemple des vacances, celui ou celle qui pose la question a déjà décidé 1) qu'on allait partir et 2) a limité le champ des possibles à deux options. On aurait pu ne pas partir du tout, aller à la campagne, s'isoler dans un temple boudhiste, refaire la peinture du salon, s'investir dans une activité bénévole... La liste est infinie. Mais quelqu'un décide, implicitement, de limiter le choix à deux options. Précises.

Là où c'est malhonnête, c'est que celui ou celle qui pose la question, tout en donnant l'illusion de donner un choix, a déjà, justement, fait le choix essentiel et laisse à l'autre des miettes de décision, sur des aspects secondaires.

Idem pour l'exemple de l'anniversaire... tarte ou gâteau. Ça concentre l'attention sur un point de détail, le traditionnel gâteau (ou tarte...) et néglige tout le reste, à savoir est-ce qu'on fait une fête, si oui avec qui, quand, où, dans quelles conditions, est-ce que même, ça vaut le coup de le fêter, etc. etc.

En politique, en entreprise (enfin, dans certaines boîtes...), à l'école, à la maison, ces manipulations, conscientes ou non, sont monnaie courante.

Mon premier conseil, apprenez à les repérer, ça vous évitera quelques ennuis.

Mon deuxième conseil, et là on va revenir dans le sujet, c'est d'utiliser cet artifice pour, justement, éviter les questions qui fâchent, en compétition.

Right way

Donc la bonne question à se poser, par exemple, sur un ultra-trail, c'est "au prochain ravito, avant de repartir, je mange plutôt sucré, ou plutôt salé ?". Ça c'est une bonne question, car elle contient déjà la réponse à la question "stop ou encore ?". Le sujet, ici, n'est pas d'abandonner ou pas, mais plutôt "sachant que je vais continuer, comment je vais m'y prendre ?". Rien qu'en posant la question, vous avez décidé, implicitement, de continuer.

Évidemment, toute l'astuce consiste à ne même pas avoir conscience du subterfuge, et croire sincèrement qu'on réfléchit à toutes les options quand on se dit "bon, l'ampoule, je la perce ou j'y colle un coup de crème ?".

Et voilà le genre de question que je me pose, à longueur de temps. Du doute à foison, des interrogations à n'en plus finir, mais toujours présenté de telle façon que quel que soit le choix, le résultat est le même : ça me rapproche du but.

Oui, c'est manipulatoire.

Oui, c'est acceptable et parfaitement déontologique tant que vous vous l'appliquez à vous même.

Oui, il faut faire attention et y réfléchir à deux fois quand c'est pour poser des questions aux autres. Lire à ce sujet L'art d'avoir toujours raison, de Schopenhauer, une lecture dont la forme est un peu austère, mais dont le fond est totalement indémodable.

Alors, demain, vous vous entraînez le soir, ou le matin ?

This article was updated on 02/07/2023

Christian Mauduit

Passionné de sports d'endurance, du 100 km course à pied à l'ultra triathlon en passant par l'ultra-trail, je suis aussi préparateur mental, à votre écoute.